xplore08-Sexualité créative, BDSM, spiritualité, performance, soleil et humour de Céline Robinet

 

La sueur coule le long de la cheville de la conférencière. Une goutte silencieuse, impudique, qui semble trancher sa peau tout en la recouvrant d’un filtre transparent. C'est qu'il fait chaud au troisième étage de la Schwelle7, cette ancienne usine reconvertie en bureaux et ateliers d'artistes. D'autant qu'il s'agit d'un workshop sur le fétichisme du latex, et que pour l'occasion la conférencière a revêtu une magnifique robe moulante en latex vert. L'atmosphère s'appesantit, heures lourdes de l’après-midi. Le temps semble arrêté, figé dans un mélange de caoutchouc et de résine de synthèse. Il est deux heures. Un participant, emmailloté dans une sorte de sarcophage noir, sert de cobaye. Certains participants s’inquiètent, ne va-t-il pas étouffer ? Fondre ? Certains pouffent, ils ne souhaitent pas se retrouver à côté lors de l’ouverture de la fermeture éclair afin d’éviter d’être éclaboussés.
Un étage plus bas, Felix Ruckert réalise une performance accompagné de trois jeunes femmes ingurgitant des litres d’eau et suspendues au plafond par des chaînes. La musique : Les Gipsy Kings. Je ne peux m’empêcher de sourire. Jobie Joba, Bamboleo ou encore La Bamba, en France personne ne songerait sérieusement à faire une performance BDSM sur l’air des rois gitans. Ici, le professionnalisme pourtant dénué d’arrogance des performeurs donne une caution artistique sans conteste au choix musical. Dehors, sur le toit qui sert de terrasse, des participants à la conférence lézardent au soleil, sirotent un café ou bien échangent leurs impressions. En bas dans la cour, un chapiteau blanc attend d’accueillir des ateliers étalés sur tout le week-end: jeu avec le feu, l’électricité, la nourriture, les waterplays... Dans la cour voisine, deux mères turques voilées sont installées sur un banc et papotent tout en s'occupant de leurs enfants. L’une d’elle berce une poussette.

Après avoir organisé les trois premières éditions de xplore sur le modèle américain (c’est-à-dire en privilégiant l’aspect didactique) tout en conviant de grands noms de la scène BDSM pour mener les workshops, ces deux dernières années les organisateurs Felix Ruckert, co-fondateur de la Schwelle7, et Paula Rosengarten, auteure et conseillère en sexualité, ont tenté de privilégier l'aspect corporel des ateliers. Le concept est le célèbre learning by doing. Les 150 participants, venus de Berlin mais aussi du Portugal, d’Italie, des Pays-Bas, de France, d’Angleterre et réunis pour trois jours de workshops et de jeux, écoutent, regardent, puis s’essayent à de nouvelles techniques ou parfont la leur.
Résultat, cela fait huit mois que j'ai une lettre tatouée sur l’omoplate.
Mo Herzinger qui dirigeait le workshop Spiel mit dem Feuer (« Jouez avec le feu ! ») m’avait avertie : en laissant se consumer une ficelle de pyrotechnique sur ma peau, la marque allait rester quelques semaines, voire un ou deux mois. Parfait.
Le workshop avait lieu dans le fameux chapiteau blanc dans la cour. La toile claquait. Dans cette ambiance de Garden party avec le soleil qui brillait et le vert des arbres et un chien qui venait voir ce qu’on faisait, je ne pouvais détacher mon regard de la conférencière. Sa corpulence convenait parfaitement au feu dont elle se faisait le chantre : vive, fine, musclée, bronzée, les cheveux blonds relevés, elle ressemblait à une lionne-feu-follet. Après nous avoir expliqué les règles de sécurités concernant les vêtements et les cheveux (pas de vinyl ou de bas en soie, mais habits en toile, en coton ou en cuir ! Impérativement s’attacher les cheveux et les humidifier, surtout pas de laque, très inflammable la laque !), les lieux sécurisés, le comportement à adopter en cas de brûlures, les endroits du corps à ne pas exposer aux flammes - visage, cou, nuque, aisselles, intérieur des biceps, creux des coudes, intérieur des poignets, ventre, parties génitales, reins, intérieur des cuisses, creux des genoux… Il ne restait que les avant-bras, les fesses et le dos.
On a commencé par se caresser les avant-bras avec une torche imbibée d’essence. Un bâton creux pour qu’il s’auto rafraîchisse. Du métal faiblement conducteur de chaleur, comme par exemple du laiton. On approchait doucement la flamme. Les poils cramaient et ça sentait le brûlé.
Je me souviens que lorsque j’étais petite, je jouais à passer mon index dans la flamme d’une bougie. Je tentais d’y laisser mon doigt le plus longtemps possible, ensuite la peau sur la pulpe était lisse et douce, plus aucune empreinte digitale, si les cambrioleurs savaient ça, ils n’auraient plus besoin de gants en cuir.
Puis les fesses… Mo a demandé à une volontaire de s’allonger sur un matelas installé dans l’herbe de la cour. Le soleil tape. Mo dépose une sorte de boule en coton – du collodion, une solution de nitrocellulose dans un mélange d'éther et d'alcool – sur la fesse droite de la participante. Elle approche la flamme du briquet, pof !, la boule de collodion disparaît immédiatement, laissant une très légère trace brune. Le collodion était le matériel utilisé à l’origine dans les appareils photos, la substance qui s’enflammait dans une gerbe de feu au moment du cliché.
A présent, Mo nous présente les ficelles pyrotechniques. On dirait des lacets blancs. Ils servent à tracer des dessins ou des signes sur le dos, la douleur peut augmenter après la brûlure immédiate, il paraît qu’elle peut même rester des jours. J’ai très envie d’essayer. Seule  concurrence sérieuse au soleil. La douleur mord, à la fois vive et chaude, un souffle très localisé - en quelques secondes elle a disparu. Reste une sensation de présence, comme une main posée sur l’épaule. Et puis une lettre. O. Un étonnement. Depuis huit mois.